On connaît d’abord Fabio Pusterla comme poète : plusieurs de ses livres ont été traduits de l’italien en français, notamment par Mathilde Vischer, et publiés aux éditions d’en bas, chez Cheyne ou chez Empreintes. Pusterla est également un grand traducteur du français vers l’italien : depuis une dizaine d’années, il a ainsi traduit bon nombre de livres de Jaccottet, et il n’est pas étonnant de le voir signer la préface des Œuvres de ce dernier dans le volume de la Pléiade qui vient de paraître.Mais au-delà de la critique strictement littéraire, le poète est aussi un essayiste, ou plutôt un penseur, à la fois humaniste et engagé, comme en témoigne le volume Une goutte de splendeur, sous-titré « Chroniques de la vie d’un enseignant » (trad.. M. Vischer, éd. Réalités sociales, 2013). A partir de son expérience, Pusterla développe une réflexion lucide autant que volontariste, avec l’espoir que l’école « saura résister aux vents qui balaient l’Europe actuelle ». 
 
Dans Dortoir des ailes, le projet est moins centré sur une question particulière : les dix chapitres qui composent le livre apparaissent comme une collection de textes abordant des sujets aussi divers que l’enfance, le paysage, la traduction, la poésie, le livre-jeunesse… Les formes sont également variées : certains textes se rapprocheraient du poème en prose, d’autres sont autobiographiques ou plus réflexifs… « Justifications d’un traducteur » est la transcription d’un discours pour la remise du prix Achille Marazza… Cela donne une idée de la liberté d’allure de Pusterla, mais on retiendra que cette pensée vagabonde est toujours ancrée dans l’expérience, le vécu. Les plus belles pages sont sans doute celles où l’auteur évoque des lieux pauvres tout autant que chargés de magie : « Premier paysage », « Vallée des morts », « Dortoir des ailes », « Passages souterrains »… Dans ces textes, la phrase devient volontiers ample, tout en plis et replis descriptifs, sans surcharge mais très mesurée rythmiquement. 
 
Autre pôle du livre : la lecture et la littérature. Beaucoup d’auteurs sont cités : Walser, Kafka, Musil, Mandelstam, Bonnefoy, Jaccottet, Montale, Chateaubriand… mais aussi Fogazzaro, Cronin, Kipling, Verne… Là encore, les prises de position de Pusterla sont fondées sur l’expérience personnelle. Par exemple, son refus des livres « pour la jeunesse » s’enracine dans sa lecture précoce de Pavese, d’où naît la certitude que « c’est là, parmi les innombrables livres écrits en chinois que nous pouvons espérer trouver ce que nous cherchons, nous comprendre nous-même et comprendre les autres. » (p.40) Les pages sur la poésie témoignent aussi de cette lucidité sans désespoir qui caractérise la pensée de Pusterla. Mais la conscience de la relégation sociale de la poésie n’empêche nullement la persistance de sa vocation à l’ouverture et au partage, aux antipodes des « lois du marché » et de la foire aux vanités. En des temps difficiles, il est bon d’entendre simplement rappeler que le poète ne s’exile pas dans un lointain donjon d’ivoire mais qu’il est bien de ce monde, avec et parmi le commun des mortels : « la poésie, celle que je lis et celle que parfois je m’essaie à écrire, m’aide à regarder les choses de manière plus attentive, me permet de mieux écouter les voix et les destins des personnes. Encore plus aujourd’hui, je crois que ce pouvoir particulier de la parole poétique dépend avant tout du fait qu’elle est aussi marginale, aussi exilée, aussi hors jeu, aussi inutile et aussi invisible. C’est précisément à cause de cela qu’elle sait voir et sait écouter ; et quand elle parle, elle le fait d’en bas, à partir d’une expérience quotidienne commune et partagée. » (p.50)