Pour Xavier Grall, l’article avait pouvoir de poème

Xavier Grall s’est envolé, à 51 ans, le 11 décembre 1981. À l’occasion du quarantième anniversaire de sa disparition, les Éditions Calligrammes avaient publié « Ne vivent haut que ceux qui rêvent », un ouvrage qui rassemble toute son œuvre poétique. Elles viennent cette fois, avec cette exigence éditoriale et ce souci esthétique qui les caractérisent, de réunir sous le titre « Le monde vu de Bretagne », une sélection de quelque 130 articles ou chroniques qu’il a écrits entre 1954 et sa mort.

Dans sa préface, le poète et peintre Ronan Nédélec s’interroge, à juste titre, sur le « journaliste » Xavier Grall, et de préciser : « Cette œuvre de journaliste est à disposer au côté de celles et ceux qui – comme Colette ou François Mauriac- n’ont cessé de porter sur les êtres et les événements un regard direct, aigu, libre et sans complaisance ». Xavier Grall, en effet, n’était pas, spirituellement, à l’aise ni dans la société de consommation ni dans l’univers « productiviste » des années 1950-1970, celles où il collaborait, en plus de La Vie catholique, à plusieurs journaux comme Le Monde, Bretagne Magazine, Les Nouvelles littéraires… Convaincu qu’un article avait pouvoir de poème, il n’écrit rien qui ne soit inspiré, qui ne soit habité par une singulière et authentique « mystique ». C’était sa façon – une manière rarissime dans l’univers des médias – d’évoquer des événements d’actualité, des figures politiques, des lieux, des manifestations culturelles… Il rêvait d’un monde chrétien, réconcilié avec lui-même et avec Dieu, comme aux plus beaux jours d’une chevalerie idéale dont nous aurions désespérément perdu le secret. En cela, il était très proche d’un Charles Péguy ou d’un Georges Bernanos qui n’ont cessé d’exalter les valeurs héréditaires et universelles de leur terre de France. Lui, c’était sa terre de Bretagne. D’ailleurs, à l’instar de ces deux célèbres écrivains, il dégaine volontiers sa plume de pamphlétaire et c’est un régal…

Une « écologie » du cœur, de l’engagement

Ayant été, probablement, un des amis les plus proches de Xavier Grall, j’éprouve toujours quelque scrupule à célébrer son œuvre. Celle-ci, il faut pourtant le rappeler, suscitera, dès la décennie 1980, l’intérêt de la critique française comme étrangère, et elle jouissait d’un socle de lecteurs qui ne cessera plus de s’élargir au fil du temps. Quant à son nom, il allait devenir pour la cohorte de ses fidèles, le synonyme d’un « mythe » au sens le plus simple et le plus noble du mot. Pourquoi ? Parce qu’il a su incarner, sans jamais la moindre concession, les symboles de notre condition humaine. Parce que chez lui, le poète, l’écrivain, le polémiste sont traversés par cette passion dévorante pour la fraternité, le sens du sacré, l’émerveillement, la gravité, l’amour de l’autre. Des textes inclassables que l’on reçoit en « pleine gueule », telle une lame du Raz de Sein. Bref une « écologie » du cœur, de l’engagement. N’est-ce pas ainsi que se construit un mythe ? « Je vais jusqu’au bout de mon rythme. Comme ça vient, comme je rêve, comme je crève… Et que m’importent les fausses notes ! », m’écrivait-il en 1971.