On n’en finit pas d’inventorier l’œuvre de Xavier Grall. Deux ans après le 40e anniversaire de la mort du poète et journaliste breton, voici réunis des chroniques et billets publiés pour la plupart dans Le Monde. On y retrouve le Xavier Grall lyrique que l’on aime, profondément attaché à son pays, témoin de menus faits ou de plus grands événements dont il sait toujours faire son miel.

Xavier Grall a publié sa première chronique dans Le Monde le 4 octobre 1972. Sa collaboration sera régulière à partir de l’automne 1973 dans l’édition dominicale du quotidien national. Une première sélection de ses chroniques (une quarantaine de textes) avait été publiée en 1983 par Calligrammes, à Quimper, sous le titre Et parlez-moi de la terre. « Impossible dans un seul ouvrage de tout éditer, précisaient Bernard et Mireille Guillemot, les fondateurs des éditions Calligrammes, aussi avons-nous effectué un choix ».  Quarante après, Yvan Guillemot reprend le flambeau en publiant l’intégralité des chroniques publiées dans Le Monde auxquelles il a ajouté celles (plus rares) publiées dans Bretagne Magazine, Le Cri du monde, Les Nouvelles littéraires, Autrement, Hors jeu…

Cette publication arrive après celles consacrées aux chroniques publiées par Grall dans La Vie catholique sous le titre Les billets d’Olivier puis Les vents m’ont dit (réédition Terre de brume, 2017 et 2018) et aussi après celles qu’il livrait à la revue Croissance des jeunes nations sous le titre La chronique de l’Indien (Terre de Brume, 1995 et 1996), sans oublier celles qu’il avait publiées dans la revue militante bretonne Sav Breizh et regroupées sous le titre  Mémoires de ronces et de galets (An Here, 2002, Terre de brume, 2014).

Témoin d’un monde qui bascule

Nous voici donc aujourd’hui devant un « corpus » quasi complet des chroniques de Xavier Grall, nous rappelant qu’au-delà d’être un grand poète il fut aussi un brillant journaliste, profondément attaché à ce métier. C’est depuis son repaire de Botzulan dans la campagne de Nizon qu’il adresse, par la poste, ses chroniques au Monde. Une forme de télétravail, mais c’était une autre époque. Il suffit de voir combien certains de ses billets nous font entrevoir une période aujourd’hui révolue. Un simple exemple : on meurt moins aujourd’hui dans la pêche au large alors que dans les années 1970 c’était encore souvent le cas. « Quel marin, cette année, ne reviendra pas ? » écrit Xavier Grall. À partir de ce questionnement, il bifurque vers les poèmes du Gallois Dylan Thomas, le seul qui, à ses yeux, « a su dire l’angoisse que soulève la mer en nos pays celtiques ».

Xavier Grall a toujours regardé la mer à distance. Elle l’impressionne toujours quand elle « conteste la rive » comme il le dit dans un de ses poèmes. Mais il se met à son écoute, entend mugir « les vents hurleurs » venus de l’océan. « À Botzulan, ce ne fut que gifles répétées, assauts secs et tonitruants. Les vents venaient du noroît », écrivait-il dans un de ses billets. Et il ajoutait. « Mais, s’il vous plaît, les vents, pour nos marins, pitié ».

Depuis son repaire cornouaillais, il voit aussi un monde qui bascule. Il parle des « maisons mortes », il se demande où sont passées « les toiles d’antan » (« Les Gauguin sont à Moscou, Paris, New York »), il se désole de voir des « théories de touristes » envahir Pont-Aven (que ne dirait-il du sur tourisme contemporain), il enrage devant les premières grandes atteintes à l’environnement (« mille trois cents tonnes de fuel s’écoulant de l’Olympic-Bravery… »).  Et que dire de sa colère après l’échouage de l’Amoco Cadiz sur la côte de Portsall ! Préfaçant et annotant cet ouvrage, Ronan Nédélec note avec justesse que « bien qu’écrits il y a plus de quarante ans, ses textes résonnent en de multiples échos sur nos événements contemporains ».

Les points d’ancrage (et de réconfort) de Grall sont les chemins vicinaux, les bars où l’on échange, les fêtes de nuit et, bien sûr, les écrivains qu’il aime et dont il évoque, ici aussi, la figure : Lamennais « prophète maudit », Bernanos et son « invincible jeunesse », Rimbaud « le Somalien ». Sans oublier Georges Perros qu’il qualifie de « moine laïc » et dont il vante la « pureté secrète ». Ainsi allait Xavier Grall dans ses « fidélités bretonnes » sous « les vents verts » et « les vents gris », à l’écoute du « chant de la terre ». Journaliste jusqu’au bout des ongles, mais poète avant tout : « Le réel ne se donne pas, il s’imagine, disait Xavier Grall, un article a pouvoir de poème ».