Les éditions Calligrammes continuent le boulot ! Et du beau ! De la belle ouvrage dont on n’est à la fois pas étonné mais tellement ravi que le poète Xavier Grall réapparaisse.

Une étoile filante revient ! La preuve par Grall !

Une météore cosmique à nouveau nous transperce, nous décille, nous remonte le monde à l’endroit. Xavier Grall est de retour. Calligrammes que porte élégamment Yvan Guillemot est de ce registre des pédagogies utiles qui vont redire à ceux qui ne le savent pas et à ceux qui l’ont un peu oublié que l’œuvre poétique du finistérien est un gué pour traverser les temps rudes, un beau port pour accoster les ivresses, un radeau dans les rades!

Accoudons-nous.

Le zinc est tendu comme l’horizon et toute l’œuvre poétique de Grall est à nouveau réunie qui était déjà parue et que d‘aucuns, à cette occasion, quel chanceux, vont découvrir. Pensons aux étudiants, aux lycéens, à tous les Rimb en sneakers aux portes des lycées, sur les parvis des facs, au bord des radoubs, tous ces jeunes si beaux qui plantent leurs drapeaux de poésie, arriment leurs mâts d’êtres libres : ils trouveront dans Grall de quoi !

Mains, mains défuntes, emplissez-vous de lumières jonquilles.

Grall c’est la grâce, le lever du jour éternel, les aubes d’ondées et les ondes d’orbes :

Je salue l’aube qui naît sur Lair Landedeo

Et chante ma sône rituelle tra-la-lela-no.

Grall est un vent, une bourrasque, des déchirures. L’ami déchiré qui fait du boucan, ah le pamphlétaire anti-Hélias. Aussi l’ami de grande amitié, tourbeuse, toujours en feu sans qu’elle s’enflamme ! Ses arrimages sont solides dont Glenmor ! Il est comme ces êtres qui fondent une terre. Un pays, la Bretagne, que ne fonderaient depuis tout ce temps que des êtres.

De chair. D’os. De rires et de larmes. De chagrins et de grains.

Il faut chaque jour gagner sa légende

Il faut chaque jour célébrer la messe de l’univers.

Grall est breton, donc universel. Yvon Le Men dans la préface au livre qui sort ne dit pas autre chose : « Le poète, lui, parle en son propre nom qui, dans le meilleur des cas, est le nom de tous. Grall parle à tous ». Les recueils avaient été publiés, ils étaient épars : Rires et pleurs de l’Aven, La Sône des pluies et des tombes, Solo, Genèse, La marche des Calvaires et d’autres titres que ce livre aujourd’hui réunit. Où l’on découvre s’il en était besoin la cohérence raffinée de l’œuvre, ses subtiles redondances et surtout le chant voluptueux, ouvert, humain : cette celticité si le mot porte sens.

Ce pour quoi j’ai parlé de pédagogie. Réunir ces œuvres plaide pour la jeunesse en temps de covid, empêchée de fêtes, castrée de leçons magistrales, gênée de liens, jugulée, enfermée, crousisée. Plaidons pour qu’elle découvre Xavier Grall, diseur de libertés, affranchisseur de lignes, dériveur breton. Escale en poésie. Cavale en imaginaire ! Voyage en Bretagne !

Et aux mondes : il n’est qu’à lire le poème Premier chant qui nous invite du Yang-Tsé-Kiang au Dniepr ou au Rhône. Le monde est un chant et la musique un voyage. Les mots de Grall ne sont pas chairs mais ailes d’oiseaux, remorqueurs d’âme, violons vertigineux.

Découvrons en ces temps sinistres de pandémie la révolte de Grall dans Ballade de la mort si lente et finissons par briser les amarres (il y en a marre) sur ces derniers vers dédiés à sa mère : Et l’infirmier cynique débranchant le sérum cruellement / Annonce comme un guetteur que la bataille est finie / Ô mort si lente à venir.

Requiem pour la mère de Grall, Marguerite David ! Requiem pour Xavier Grall ! Relisons-le pour le redécouvrir !

Seigneur me voici, c’est moi

De votre terre j’ai tout aimé.

Écoutez ce chant d’amour des champs. Rêvez ce rêve de Grall, les yeux ouverts, en lisant sur ses lèvres la grande modestie des chiens et le rêve inouï des astres :

Ne me parlez pas de moi

Sur ma tête mettez une pierre

D’argile blanche

Et parlez-moi de la terre.

Il y a un Grall lyrique, rimbaldien donc, absolu et il y a un Grall des graviers, des souches, un Grall des révoltes de vers de terre.

Il fut cet homme au visage tranché, malade d’air et fou de souffle. Il nous soufflait dans les bronches et les branches des arbres aussi en frémissaient. Il a un vocabulaire, vous le noterez, qui n’est pas de son temps mais de l’éternel. Féal, revenance, truands, cul-de-basse-fosse : des mots de Grall.

Vous retrouverez le poète de Nizon en allant à la pointe de Trévignon, ou à Landivisiau au pays des croix noires. Mais surtout vous le retrouvez entre tous ses titres ici réunis, idée iodée vraiment, dans une sorte de kan-ha-diskan éruptif et vital. Nous avons aussi à lire cette œuvre comme une biographie. C’est de sa vie que Grall versifie. Sa vie est sa matière vive, son feu de joie et de foi.

Ceci n’est pas un livre endeuillé même si le poète mort craint que tous le soient :

Je me souviens

Perros est mort

Yves Elléouët est mort

Armand Robin est mort

La Bretagne est veuve

De ses meilleurs poètes.

Vivants, survivants, grâce à Grall et à son éternelle revenance.