UNE VIE D’ÉMILIENNE KERHOAS, POÈTE

Elle a publié moins de vingt recueils de poésie à tirage limité et préservé, toute sa vie, une farouche indépendance et liberté d’esprit : la Finistérienne Émilienne Kerhoas (1925 – 2018) n’a jamais connu la notoriété de son vivant. Un très beau livre, signé de l’universitaire et écrivain Alain-Gabriel Monot et de la photographe Aïcha Dupoy de Guitard, nous fait aujourd’hui prendre la mesure de son immense talent.

Née Émilienne Salaün en 1925 à Landerneau, Émilienne Kerhoas fut institutrice toute sa vie. Après sa formation à l’École normale de Saint-Brieuc où elle fit la connaissance de Louis Guilloux (l’épouse de celui-ci était sa professeur de Lettres), la jeune Émilienne occupa un premier poste à Locmélar puis fut nommée à Saint-Cadou au cœur des monts d’Arrée. C’est là qu’elle écrivit en 1957 son premier recueil intitulé tout simplement Saint-Cadou. Elle y parlait d’un « Pays sauvage / fruit âpre / au goût de solitude et de vent ». Après son mariage avec Jacques Kerhoas, instituteur comme elle et fondateur des Classes de mer, elle enseigna à Daoulas puis à Brest où elle fut directrice d’école au quartier de Kerinou avant de se retirer au Faou au moment de la retraite.

Le sens du paysage

Émilienne Kerhoas aimait profondément ce Finistère où elle a vécu, en particulier la côte sauvage du Léon, du côté de Kerlouan, Brignogan et Plounéour-Trez, mais aussi les monts d’Arrée auxquels elle resta fidèle. C’étaient ses « lieux sacrés », disait-elle. La photographe Aïcha Dupoy d Guitard, revenue sur ces lieux qui l’ont profondément imprégnée, nous en fait mesurer l’intense beauté. Quant à Alain-Gabriel Monot, il souligne que si Émilienne Kerhoas a « le sens du paysage », elle ne verse jamais dans le folklore ou dans un vague régionalisme. « Plage et ciel, ô double anneau / Ma double fontaine / Où chante, fragile oiseau / Mon enfance reine », écrit la poète en évoquant cette Côte des légendes qu’elle arpenta très jeune. À propos des poèmes de son premier recueil, Saint-Cadou, Alain-Gabriel Monot note aussi que « s’ils se défient de l’abstraction pure, ils n’en demeurent pas moins d’abord presque toujours chose mentale ».

En présentant ce livre, l’éditeur Yvan Guillemot souligne pour sa part que « la vocation » d’Émilienne Kerhoas était de « se laisser traverser par la vie et (de) nommer les fils intérieurs qui peuvent la transformer ». Et si on pouvait la comparer à une autre grande poète, il cite le nom d’Andrée Chedid.

Voilà donc au bout du compte, entre nos mains, un  très beau livre d’admiration et de reconnaissance à une femme engagée avec ferveur dans l’écriture. Alain-Gabriel Monot, qui fut un grand ami d’Émilienne Kerhoas et entretint avec elle une longue correspondance, se souvient de « la longue table de chêne clair de la maison toujours ouverte aux amis ». Il mêle habilement dans ce livre l’analyse d’une œuvre et la publication de quelques poèmes de la poète finistérienne, parlant notamment des « pages solaires » de son dernier recueil La pierre du jardin. Reste maintenant à tenir une promesse faite à la poète disparue : réunir dans un ouvrage ses œuvres complètes.