« Le Monde vu de Bretagne » de Xavier Grall

« Notre inspiration, nos déchirures et nos fêtes, nos voluptés et nos mélancolies, c’est dans le cycle de la Table ronde qu’elles se trouvent. Voilà qui nous conduit fort loin du paganisme indo-européen. Le caractère pathétique de la quête arthurienne et des amours de Tristan ne s’explique que par l’affrontement de la liberté celtique et de l’inquiétude chrétienne. C’est nier l’âme rêveuse et mystique de la Bretagne que de vouloir biffer l’un des termes de cette tension assurément plus fertile au plan culturel qu’à celui de la politique… » 

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372 pages au format 15 x 21 cm, sous couverture Rives Tradition

Poids : 431 g / Publié avec le soutien du CNL 

EAN : 978.2.8696.5202.6 / septembre 2023

Préface et notes de Ronan Nédélec 

Chroniques parues entre 1954 et 1981  dans Le Monde, La Vie, Bretagne magazine, La Vie catholique, Le Cri du monde, Les Nouvelles littéraires, autrement et Hors Jeu.

4e de couverture

« Il faut chaque jour célébrer la messe de l’univers. » Qui mieux que Xavier Grall aura réussi à concilier le concret et l’universel, le combat breton et l’ouverture vers ces autres mondes qui sont plus grands que nous ? 

Après lui avoir rendu hommage dans Ne vivent haut que ceux qui rêvent — pour le quarantième anniversaire de sa disparition —,  le moment nous a semblé opportun de publier une partie inédite de son œuvre de journaliste. Car s’il était un rêveur de grande bohème, Xavier Grall était aussi l’auteur de nombreux reportages, enquêtes, billets et chroniques. Foisonnantes et roboratives sont les thématiques qu’il aborde, en cette période d’exode rural où la France est plus occupée à construire des usines qu’à défendre ses paysages et sa vie pastorale. Sur le plan des idées, le structuralisme philosophique en est à son apogée, et les débats concernant la technique et ses dérives sont à l’origine de violentes polémiques. Courageux et engagé Xavier Grall prend position : il ne peut concevoir une société organisée au profit de quelques-uns, et dans laquelle la nature et les êtres vivants pourraient devenir de simples variables d’ajustement. 

Sans jamais exprimer d’éphémères illusions, sa parole était néanmoins génératrice d’espoir, car il voyait toujours une éclaircie dans les nuages, un vent contraire aux vents mauvais. Devant tant d’aspects de l’histoire qui divisent, devant tant d’erreurs irréparables, il se savait attendu ! Pour ses nombreux lecteurs il était alors « Xavier l’enchanteur », le scribe d’une fraternité vraie et un citoyen du monde.

Yvan Guillemot

Extraits

p. 38 : Il est temps de retrouver la Bretagne bretonne, celle qui secrètement, douloureusement réinvente ses formes littéraires. Cette Bretagne-là a fasciné, troublé, converti quelques écrivains de Paris. Ceux-ci ont fait l’itinéraire inverse de la plupart. À la migration estivale et condescendante des hommes de plume et de cinéma, ils ont substitué un établissement définitif et pour ainsi dire mystique dans nos landes et sur nos rives. 

p. 103 : Toi, tu sais, Paul, que je n’ai rien. Tu sais bien que j’ai pris ce que vous appelez, vous, tous les risques, pour être ici, pour être charnellement, spirituellement, de ce pays, dans ses étés comme dans ses hivers, dans sa gloire comme dans sa pauvreté, dans ses soleils comme dans ses tombes.

p. 111 : Et si cette époque des rires et des loisirs qui, habituellement, lutine au fil des plages allait, cette année, devenir celle des interrogations primordiales ? Si cet été grec, tout chargé de menaces obscures, allait être celui d’une réflexion en quelque sorte métaphysique ? Toutes les grandes religions ne sont-elles pas nées sous des cieux durs et bleus ? Est-ce l’heure de Dieu quand les pluies sont absentes ? Alors, peut-être cet été serait-il moins catastrophique qu’il n’y paraît. (Juillet 1976)

p. 227 : Ce matin-ci qui, lentement, dissout de grands châles de brume se révèle d’une étrange douceur. Plus loin que Saint-Samson, j’ai trouvé le petit port de Portsall. Bar L’Esquif. De là, je vois la crique blanche. Les barques et les chaloupes reposent sur le flanc dans un geste pour ainsi dire humain d’abandon, de sommeil, d’amour, le sable sur les joues, humides de crachin comme d’une rosée tendre, à l’abri dans la crique adorable, telles des bêtes dans une pâture close. Le génie descriptif d’Yves Elléouët se fût aisément déployé à ce spectacle de repos, en ce juillet de matin calme, lui qui savait dire les couleurs et leurs nuances et le mouvement des choses, d’un coup de pinceau ou d’un coup de plume, peintre et poète, Yves mort la rate pourrie dans une clinique de Paris à quarante-trois ans. Que n’êtes-vous demeurés ici, poètes de Bretagne, Elléouët et Perros, créateurs de ma patrie, si tôt partis plus loin que la mer, tous deux rongés par le crabe du cancer !

p. 242 : Le réel ne se donne pas, il s’imagine. Un article a pouvoir de poème. (Octobre 1978)

p. 260 : Il est sans doute plus aisé de comprendre les « nouveaux philosophes » que les Bretons ! Nous, nous ne sommes point nouveaux ! Nous avons dans la bouche des cris de mille ans, et dans le cœur des fiertés séculaires. Nous sommes de cette pensée aventureuse et folle qui jeta Chateaubriand sous le ciel du Nouveau Monde et tracassa Lamennais contre les lourdes portes vaticanes. Hommes d’océan, nous avons cette capacité de rêver l’univers et cette naïveté de prêter aux Grands, fussent-ils de France, cette liberté de l’esprit, cette gentillesse sans protocole qui font la valeur des rencontres humaines et donc politiques.

p. 279 : De même n’est pas forcément Breton, l’écrivain qui situe son œuvre en Bretagne ou met en scène des personnages de Bretagne. Hélias est, au fond, un écrivain français et cela le ravit, du reste, d’être désigné comme tel. Par contre sont Bretons jusqu’au fond d’eux-mêmes et de leurs œuvres, des hommes comme Châteaubriand, Lamennais et, plus près de nous, Julien Gracq, Yves Elléouët. Je les cite à titre d’exemples vraiment significatifs, il y en a, bien sûr, beaucoup d’autres. Le génie français se définit comme classique. Ces écrivains-là ne sont pas classiques. Il y a chez eux une musique, une folie, un surréalisme qui relèvent de valeurs réellement bretonnes. Ils pensent breton. Ils prennent toutes sortes de risques politiques pour les uns, littéraires pour les autres. Un grand rêve plane sur leurs œuvres. L’idée de la mort les hante. Qu’ils soient lyriques ou baroques, accablés de gloire ou de misère, ils sont encore bretons par leur goût de la nature, voire par une approche parfois panthéiste de l’univers.

p. 323 : Notre inspiration, nos déchirures et nos fêtes, nos voluptés et nos mélancolies, c’est dans le cycle de la Table ronde qu’elles se trouvent. Voilà qui nous conduit fort loin du paganisme indo-européen. Le caractère pathétique de la quête arthurienne et des amours de Tristan ne s’explique que par l’affrontement de la liberté celtique et de l’inquiétude chrétienne. C’est nier l’âme rêveuse et mystique de la Bretagne que de vouloir biffer l’un des termes de cette tension assurément plus fertile au plan culturel qu’à celui de la politique… (Octobre 1980)

p. 346 : Depuis vingt ans, l’idée bretonne a été soutenue par une poignée de poètes, de chanteurs et d’écrivains. Sur leur âpre chemin, ils reçurent parfois des pierres. Ils persistèrent à proclamer ce qui est devenu un cliché que l’on met à toutes les sauces : le droit à la différence. Ils eurent bientôt la divine surprise de voir que leur parole était entendue par les socialistes français. Le livre fameux de Morvan Lebesque, Comment peut-on être breton ? dont le sous-titre, très révélateur, était Essai sur la démocratie française, les aida dans leur parcours étonnant.